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Que penser de la médecine de demain ? Par Dominique Letourneau

L’AVENIR SERA-T-IL GAFAÏEN OU HIPPOCRATIQUE ?

Publié le 13/07/2016 Temps de lecture : 5 min

La Fondation de l’Avenir, au regard du millier de projets soutenus en presque trente ans d’existence, porte un point de vue unique sur l’évolution de la recherche médicale, de la médecine et du rapport au patient. Premier extrait d’un entretien avec Dominique Letourneau, président du directoire de la Fondation de l’Avenir

photo Dominique Letourneau président de la Fondation de l'Avenir 2016

« Depuis quelques années, des entreprises à portée mondiale et non spécialistes investissent le secteur de la santé. Ce sont les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), auquel il convient d’ajouter IBM et Microsoft. Les plateformes de type Uber se positionnent également.

Au-delà de la question des profits financiers attendus par ces sociétés, cela constitue un marqueur sociétal important et surtout la prise en compte d’une rupture majeure au même titre que la révolution industrielle au 19e siècle.

Robots chirurgicaux, télésanté, nanotechnologies, génétique, biothérapies, numérique… la santé connait une révolution quant aux techniques qui sont mises à sa disposition. L’intérêt des GAFA, connues pour leurs capacités de compilation et d’analyse des données, soulignent cela.

De nouvelles peurs apparaissent : quid du médecin du futur ? Du chirurgien de demain ? Le patient s’appropriera-t-il demain sa santé pour déposséder le médecin qui en serait réduit au rôle de simple manipulateur ? Que nous réserve le progrès médical que l’on voit se dessiner ?

Les outils récents, actualisés, ne manquent pas pour que la question soit soulevée. La Fondation de l’Avenir, d’origine mutualiste, soutient le développement du progrès médical depuis 1987. Notre Fondation se fait forte d’être aux côtés d’un grand nombre de praticiens de la recherche médicale appliquée. Nous avons même choisi comme signature « Accélérateur de progrès médical, accessible à tous ».

C’est pourquoi nous voulons contribuer au débat public sur la santé. Partager notre expérience, celle des chercheurs que nous avons eu l’opportunité, voire la chance de soutenir dans leur démarche souvent innovante, parfois insolite, mais toujours au service de la santé de tous.

L’utilisation des nouvelles technologies va-t-elle conduire à un bouleversement profond du monde médical, à la disparition des chirurgiens comme l’énoncent déjà des grands professionnels de santé ?

Depuis 30 ans, les techniques chirurgicales ont connu une évolution phénoménale. « Ouvrir » le patient n’est plus la réponse première des chirurgiens ; ils sont sans cesse à la recherche de techniques moins invasives ou alternatives telle la thérapie cellulaire.

Les équipes de chercheurs, le plus souvent de chirurgiens, que nous accompagnons, ont eu une idée. La Fondation de l’Avenir les a soutenus, pour qu’ils puissent essayer et réessayer et que leur projet devienne une réalité pour tous. Ces chirurgiens chercheurs contribuent activement et obstinément au progrès médical, et nous les accompagnons avec la même détermination. Pourtant, quand on y regarde de plus près, leurs travaux paraissent éloigner le professionnel de la chirurgie. Le chirurgien d’aujourd’hui sera-t-il nécessaire demain ?

Le déploiement des applications repositionne le patient comme maître de sa santé, lui permettant de contrôler ses données, voire même de les analyser. Il est aujourd’hui fréquent qu’une visite chez le médecin soit précédée par une recherche sur le web. Le patient arrive avec le diagnostic et une proposition de traitement, le professionnel de santé se retrouve dans un simple rôle de prescripteur. Les faits paraissent ainsi, la nécessaire réalité est, nous le savons tous, toute autre.

Le chirurgien était jusqu’alors préservé de ce genre de démarche, bénéficiant de l’aura de l’expert capable de « dompter » le corps humain, de le comprendre et de le guérir et cela dans l’univers préservé du bloc opératoire, où seuls les initiés peuvent intervenir. Mais le déploiement de nouveaux outils robotiques interrogent sur son futur rôle. Si, à terme, le robot programmé par un système informatique pour lequel la maîtrise d’algorithmes importe plus que la connaissance du corps humain, le chirurgien n’aurait-il plus alors pour fonction que d’appuyer sur le bouton « on » en attendant que le robot ne fasse lui-même l’acte ?

Pour la Fondation de l’Avenir, une médecine sans médecin est impensable, toutes les technologies n’y changeront rien.

Finalement ce progrès est un bien pour tous et personne ne doit en être exclu. Il va même participer à une nouvelle relation entre le patient et le professionnel de santé. Car plus la technologie sera présente, plus la relation humaine sera essentielle.

L’enjeu est de savoir rénover cette relation entre le patient et son Hippocrate, entre la communauté des patients, leur entourage et le monde des professionnels de santé. Ce qui doit rester, c’est ce lien de confiance élémentaire, que la technologie ne pourra jamais remplacer. Ce lien doit être valorisé et mieux appréhendé, à commencer lors de la période de formation des professionnels. »