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Souvenez-vous, il y a un mois, nous vous présentions le dispositif de pousse-seringues...

Crise Covid-19 : Création de pousse-seringues électriques. L'éclairage technique de Yannick AVELINO, ingénieur au sein d'Electrolab

Publié le 07/05/2020 Temps de lecture : 9 min

Souvenez-vous, il y a un mois, nous vous présentions le dispositif de pousse-seringues imaginé par l’Association Electrolab Nanterre, association de culture scientifique technique et industrielle, membre du réseau professionnel AMCSTI.
Afin de finaliser le prototype, la Carac (Mutuelle d’Épargne, de Retraite et de Prévoyance), la Fondation de l’Académie de Chirurgie et la Fondation de l’Avenir se mobilisent ensemble afin d’apporter leur soutien à l’association.

L’association a depuis considérablement avancé dans la mise en place du dispositif pour les structures hospitalières. Pour rappel, voici les étapes qui ont été validées :
– le 8 avril 2020 : essais de pré-qualification
– le 10 avril : essais formels autonomes par les ingénieurs
– le 12 avril :  essais de prise en main en conditions réelles au sein d’une unité Covid d’un établissement AP-HP

Dans l’attente de la dernière validation de l’ANSM (Association Nationale de la Sécurité du Médicament et des produits de santé) Yannick AVELINO, ingénieur au sein de l’Association Electrolab, revient sur la genèse du projet et les perspectives futures.

Fondation de l’Avenir : Parlez-nous de votre cursus ? Au sein d’Electrolab, êtes-vous tous ingénieurs dans le domaine du bio-médical ?
Yannick AVELINO : 
Les domaines sont très variés (mécanique, électronique, couture, arts graphiques, travail du bois, etc.), et les profils des membres de l’association sont très divers : artiste plasticien, ingénieur, boulanger, chauffeur de taxi, informaticien, juriste, archiviste, commercial, etc. ou encore, médecin. Cette diversité nous est chère.
L’Electrolab est une association loi 1901 dont l’objet est la transmission des connaissances dans le domaine des sciences et des techniques.
En ce sens, nous sommes avant tout des acteurs bénévoles de terrain, et nous agissons en premier lieu au niveau local à l’aide d’un outil essentiel : un espace de 1500m² d’ateliers multi-techniques et de formation situé à Nanterre où chacun peut être tour à tour sachant et apprenant.
En cette période de confinement, les activités de nôtre association ont trouvé un pendant dématérialisé grâce aux moyens informatiques dont nous disposons (forum, chat, GitLab, etc.).
Pour terminer de répondre à la question : à titre personnel, je suis ingénieur spécialisé en traitement du signal, et dans ma vie diurne, je suis directeur produits et industrialisation de la société Alciom.

 

Comment est apparue l’idée du pousse-seringue ?
Tout a commencé, confinement oblige, avec une discussion sur le forum de l’Electrolab. Plusieurs bénévoles se demandaient comment se rendre utiles face à la crise sanitaire que nous traversons. En effet, en tant que structure, l’Electrolab dispose de moyens de fabrication permettant de faire de petites séries d’objets techniques, des moyens de mesures physiques, mais aussi de moyens en terme de technologies de l’information et de la communication (capacité de calcul, connexion très haut débit, moyens de captation vidéo, etc.).
Très vite, un tour d’horizon des initiatives en cours dans le monde des « makers » a montré que les sujets du moment étaient autour des respirateurs et des équipements de protection comme par exemple les masques, les visières et les blouses.
Une première équipe a pris en main un projet de visière de protection, nous avons conçu un modèle permettant de travailler par simple découpe de matériau facilement disponibles. Cette méthode a permis de produire plus de 7 000 visières qui ont toutes été données à des établissements de santé (hôpitaux, cabinets médicaux…) ou de secours (Croix-Rouge, pompiers, police…). Dans le même temps, une équipe « couture » a mis en pratique, documenté et édité un patron de blouse de protection sur la base des recommandations de l’IFTH (Institut Français du Textile et de l’Habillement).
L’un des bénévoles de l’Electrolab, médecin anesthésiste, a alors remonté l’information selon laquelle plusieurs hôpitaux étaient en manque de pousse-seringues, obligeant les pharmacies à réaliser des opérations fastidieuses afin de permettre le traitement de tous les patients.
Un groupe de travail s’est formé autour du sujet (le 20 mars pour être exact), et le 2 avril, le premier prototype, réalisé en impression 3D, était mis entre les mains de soignants d’un grand hôpital parisien AP-HP afin de recueillir les premiers avis sur l’utilisabilité et l’ergonomie de l’OpenSyringePump.

 

En quoi le produit est original ?
L’objectif principal de l’OpenSyringePump est de pouvoir produire rapidement, partout dans le monde, et avec des moyens simples des pousse-seringues fiables.
Cette démarche se résume en quatre points principaux :

– Le design doit être ouvert. Les plans et documentations sont libres d’accès (voir https://code.electrolab.fr/covid-19/opensyringepump ), et la libre circulation de cette propriété intellectuelle est garantie par des licences libres : « Creative Commons » pour le design et les documents, et « General Public License » pour le logiciel.

– La fabrication doit répondre à un compromis efficace entre délai de fabrication et débit de production. Par exemple, un produit très industrialisé dont la fabrication ferait appel à des moulages ou de l’injection permettrait des débits de production très importants, mais nécessiterait des outillages spécifiques nécessitant des mois de mise au point, et qui vont donc à l’encontre d’une mise en fabrication rapide. A contrario, un produit trop peu industrialisé, que l’on qualifierait de « prototype fabriqué en série » ferait appel à trop d’interventions manuelles dans sa fabrication et ne permettrait pas d’atteindre des volumes de production satisfaisants face à l’urgence sanitaire.

– Pas de compromis sur la sécurité. L’OpenSyringePump dispose d’un capteur de position qui permet de vérifier l’adéquation du déplacement effectif avec la demande, d’un capteur de force qui permet de détecter un mauvais positionnement de la seringue ou une occlusion, et d’un dispositif de supervision matérielle de l’électronique. Si une anomalie quelconque est détectée, une alarme (compatible avec la norme en vigueur) est déclenchée et le moteur est matériellement désactivé.

– La conception doit être la plus modulaire possible. Tous les éléments peuvent être fabriqués avec différentes méthodes (impession 3D, usinage, moulage), dans différents matériaux, et de différentes sources. La carte électronique est publiée en version industrielle, et en version « fabrication à la main ». Tous les éléments sont choisis pour pouvoir être facilement remplacés par d’autres.

 

Pourquoi doit-il être testé par un essai clinique ?
Un pousse seringue est un dispositif médical, et la France est l’un des pays présentant le plus de garanties aux patients vis à vis des dispositifs médicaux, de leur processus de développement, des essais réalisés, et des processus de fabrication.
Obtenir l’aval des autorités françaises pour un dispositif d’urgence comme l’OpenSyringePump serait donc un signe particulièrement positifs pour tout autre pays en situation d’urgence.
L’objet de cette prochaine étape formelle est donc bien de mener le processus de qualification, en urgence, certes, mais jusqu’au bout, et ce dans le respect de la procédure en vigueur.

 Essais de prise en main en condition réel du pousse-seringue
au sein d’un grand hôpital parisien AP-HP le 12 avril dernier

 

Comment vont être utilisés les fonds des entités qui vous soutiennent (Carac, Fondation de l’Académie de Chirurgie et Fondation de l’Avenir) ?
Les fonds sont intégralement destinés à la fabrication des prototypes. En effet, qui dit « essais », et plus encore « essais cliniques », dit qu’il faut pouvoir fournir assez d’exemplaires de l’OpenSyringePump aux différentes équipes pour que le projet puisse avancer.

Ces coûts de fabrication comprennent :
– de la sous-traitance pour la production d’une partie des cartes électroniques,
– des coûts matière,
– des coûts d’outillage,
– la couverture d’une partie des frais d’infrastructures de l’Electrolab nécessaires au projet.

 

Quelles sont les prochaines étapes de validation du dispositif ?
L’équipe du Professeur où ont été réalisés les essais de prise en main a établi une proposition de protocole d’essai clinique. À l’heure où nous écrivons ces lignes, le dossier est en cours de revue par l’ANSM (tests biotechniques, essais de compatibilité électromagnétique…), et nous attendons leur retour afin de lancer ces travaux dès que possible.

 

Avez-vous d’autres idées de dispositifs médicaux concernant d’autres besoins ?
Nous avons déjà évoqué les équipements de protection individuelles (visières et blouses) pour lesquels des projets sont en cours, mais il y a aussi divers dispositifs comme les oxymètres* qui pourraient constituer des dispositifs médicaux d’urgence pour lesquels une forme de réserve sanitaire pourrait être nécessaire, et pour laquelle le recours à des dispositifs « Open Hardware » serait à notre avis de tout premier intérêt.

* appareils permettant de mesurer la quantité d’oxygène dont le sang est saturé. Cette mesure permet de surveiller l’état des patients sujets à des troubles respiratoires ou souffrant d’affections de l’appareil respiratoire.

 

Nous remercions Yannick AVELINO pour avoir pris le temps de nous parler de l’avancée du projet OpenSyringePump.

Sur le même sujet, pour (re)lire l’interview du professeur Eric ALLAIRE, président du conseil scientifique de la Fondation de l’Avenir, cliquez ici.

Pour consulter le communiqué de presse, cliquez ici.