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- Regard médical -

Réparer le cœur des malades par des cellules souches

Publié le 26/01/2018 Temps de lecture : 6 min

Regard médical du Pr Menasché à travers une interview réalisée lors du Congrès des 30 ans de la Fondation (2017).

cellules souches

Chirurgien cardiaque à l’Hôpital Européen Georges Pompidou, le professeur Philippe Menasché a réalisé la première greffe mondiale de cellules souches embryonnaires pour soigner des patients en insuffisance cardiaque sévère.

Il a reçu en 2014 le prix MATMUT de l’innovation médicale à l’occasion des Trophées de la Fondation de l’Avenir. Retour sur une avancée médicale rendue possible grâce au soutien de la Fondation (depuis les années 2000) et qui ouvre de nouvelles perspectives.

 

En 2014, vous avez réalisé une première mondiale en greffant des cellules souches embryonnaires à une patiente insuffisante cardiaque. Pouvez-vous expliquer cette nouvelle technique ?

 

Elle consiste à utiliser des cellules souches embryonnaires dites pluripotentes, c’est à dire des cellules pouvant se transformer en n’importe quel type et notamment en cellules cardiaques. Elles sont ensuite incorporées dans un gel de fibrine composé de protéines constituant un bon milieu nutritif pour les cellules. C’est ce gel que j’ai déposé sur la surface du cœur au niveau de la zone de l’infarctus de la première patiente opérée au cours d’une intervention classique de chirurgie cardiaque.Sur le plan chirurgical, c’est en fait assez simple – j’étais très attaché à cette simplicité – puisque cela consiste à prendre un disque de gel de 20 centimètres carrés et à le déposer sur le cœur. Nous veillons à ce que toutes les cellules utilisées soient différenciées et qu’elles aient ainsi perdu le risque tumoral qu’elles auraient si elles étaient encore indifférenciées. Pour éviter les risques de rejet, les malades ont reçu un traitement immunosuppresseur pendant un mois. Nous avons ainsi pu démontrer au cours de cet essai la sécurité de la technique et l’absence de complications chez nos six patients opérés. Ces résultats ont ouvert une nouvelle voie de réparation du cœur qui est actuellement explorée par plusieurs équipes dans le monde

Quelles ont été la genèse et les grandes étapes de ce projet chirurgical et de recherche totalement innovant pour les patients ?

 

Le projet a commencé avec la découverte des cellules souches embryonnaires par le biologiste américain James Thomson en 1998. Nous avons débuté en 2000 avec des cellules musculaires non cardiaques. Les premiers résultats n’ont pas été suffisamment positifs pour nous encourager à poursuivre dans cette direction. Puis avec l’arrivée des cellules souches embryonnaires, l’idée est née d’essayer de réparer le cœur en y implantant des cellules transformées en cellules cardiaques. Ce passage de la cellule souche embryonnaire vers la cellule cardiaque n’est pas évident à opérer. Nous avons compris que pour maitriser cette transformation, il était nécessaire de partir de la collecte des cellules « natives ». Sur une lignée traitée, l’efficacité n’est pas de 100 %. La moitié environ des cellules vont dans la bonne direction et deviennent des cellules cardiaques, mais il faut éliminer le contingent qui n’a pas été différencié parce qu’il est potentiellement tumoral. Cela a été une partie très importante du programme de mettre au point la technique de purification qui permet de vérifier par toute une série de contrôles que la population finale est absolument dépourvue de cellules à potentiel tumoral.

 

En quoi le soutien de la Fondation de l’Avenir est-il indispensable pour passer  du laboratoire à l’application clinique pour les patients ?

 

De manière générale, pour passer de la recherche aux applications cliniques il fallait effectuer de nombreux tests qui nécessitent un accompagnement financier.. Nous avons été soutenus par nos tutelles – l’Inserm, l’Université et l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Mais cela ne suffit pas, la recherche s’inscrit dans le temps long et compte-tenu de son coût que ce soit en matériel, en animaux ou en prestations extériorisées, s, en particulier au moment crucial des essais précliniques. Ils ont été en partie financés par la Fondation de l’Avenir qui nous a fait confiance dès le début. Je crois que l’action de la  Fondation est essentiel parce qu’elle est très orientée vers les applications chirurgicales. Six patients, ceux que j’ai opérés, ont à ce jour pu bénéficier de cette technique en France. Une équipe américaine de Stanford nous a demandé nos données pour en faire état auprès de leur autorité sanitaire, la Food and Drug Administration, au moment de leur demande d’autorisation d’essai clinique. Mais d’autres suivront bientôt.

Quelles sont les prochaines étapes de vos recherches et quelles pourraient être les applications futures pour les patients ?

 

À la suite des premiers résultats prometteurs que nous avons obtenus, nous explorons une piste majeure pour déterminer si le mécanisme d’action des cellules greffées est principalement lié à la libération d’un certain nombre de facteurs biologiques. Si nous le vérifions, l’étape suivante, à laquelle nous travaillons activement, sera d’administrer aux patients ces seuls facteurs. On passerait alors d’une transplantation de cellules, avec tout ce que cela implique en termes de difficultés et de risques, à l’administration d’un médicament biologique. Sauf que le médicament au lieu d’être un produit de synthèse serait un produit naturel. Ce serait de l’écolo-chirurgie ! Le processus, beaucoup plus simple, consisterait à prendre des cellules, à les mettre en culture, à en extraire le « jus » pour l’administrer au patient. Si tous les travaux actuellement menés en neurologie, en ophtalmologie ou en cardiologie et allant dans ce sens sont confirmés demain – autrement dit si l’on peut résumer l’effet des cellules par la seule administration des facteurs qui en sont issus – alors on peut envisager d’augmenter le nombre de receveurs potentiels. Parce que dans ce cas, la logistique deviendrait beaucoup plus simple avec l’équivalent d’un médicament stocké dans un frigidaire. Cela permettrait d’envisager des administrations répétées visant à augmenter les chances de régénérer l’organe défaillant et soigner les patients.